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Lettre ouverte de la FFII aux membres de la commission JURI

lundi 17 janvier 2005, par Gérald Sedrati-Dinet (gibus), Rene Paul Mages (ramix)

Cher membre de la commission aux affaires juridiques,

Nous avons l’honneur de vous demander de plaider en faveur d’une saisine répétée (une nouvelle première lecture) de la directive COM 2002/47 (COD), sur la brevetabilité des inventions mises en Suvre par ordinateur (brevets logiciels).

La Commission a démarré ce dossier en 2002 sans se soucier des petites et moyennes entreprises (PME). En 2003, le Parlement européen a reconnu les besoins de ces entreprises et voté des amendements pour restreindre les possibilités de brevetage des logiciels et exclure les brevets sur les méthodes commerciales.

Le Conseil a rejeté ces amendements et n’ayant pas de réelle majorité pour le faire, a entrepris de truquer le débat en conduisant certains pays à prendre une position hâtive, et est ainsi parvenu à recueillir une faible majorité pour faire passer un texte permettant le brevetage de simples algorithmes et de méthodes commerciales. Ceci étant avéré, le gouvernement polonais a déclaré qu’il ne voulait plus désormais appuyer ce texte mais diplomatiquement, son vote a été enregistré comme « oui » en mai 2004.

Ce texte va encore plus loin que les propositions déjà fortement critiquées de la Commission, en rendant possible d’empêcher la publication de programmes d’ordinateur comme le système d’exploitation GNU/Linux, que la ville de Munich, par exemple, doit utiliser, ce qui a attiré l’attention du monde entier.

Puisque la faible majorité recueillie par l’accord politique du Conseil n’a pas seulement été érodée par la clarification de la position polonaise, mais également par la nouvelle pondération au sein de l’Europe, une résolution du parlement néerlandais et une motion unitaire de tous les partis du parlement allemand, une position commune fondée sur ce texte violerait les principes démocratiques et placerait le Conseil devant un dilemme entre diplomatie et démocratie.

La meilleure issue à cette situation intenable serait une saisine répétée du texte au Parlement, ce qui offrirait des avantages à toutes les parties en présence.

Plus de temps pour prendre une décision responsable : une seconde lecture imposerait une décision en quatre mois alors que bien des membres du Parlement européen ne connaissent pas du tout le sujet.

Une majorité plus facilement atteinte : en seconde lecture, une majorité absolue est requise, ce qui signifie que tous les eurodéputés absents et toutes les abstentions compteraient comme étant en faveur de la proposition du Conseil, alors qu’une nouvelle première lecture ne requiert qu’une majorité simple.

Un redémarrage de la procédure permet au Conseil de sauver la face : non seulement c’est le Parlement européen qui marquerait sa détermination pour le redémarrage du processus, mais ce serait une voie de sortie honorable pour le Conseil. Cité anonymement par Associated Press, un diplomate hollandais a validé cette option.

L’attention des médias et du public pour cette procédure législative aurait un impact favorable sur l’ensemble des politiciens européens, sur le Parlement et ses membres : le débat sur les brevets logiciels est l’une des questions les plus vives les concernant. Du point de vue de certains d’entre eux, c’est le seul sujet qui semble motiver leurs électeurs à leur écrire.

Le contexte a changé de façon substantielle : depuis la première lecture au Parlement européen, il y a eu beaucoup d’occasions de constater que les amendements qu’il avait suggéré étaient une sage restriction de la brevetabilité.

 Les chefs de gouvernement ont été alertés du fait que l’usage du système d’exploitation Linux à la place de Windows, de Microsoft, conduirait à des litiges en matière de brevets (l’agence de presse Reuters en fait état).

 Deutsche Bank Research, PriceWaterhouseCoopers ainsi que le Kiel Institute for World Economy ont mis en évidence le danger des brevets logiciels pour l’Europe et incité les législateurs européens à prendre une voie différente.

 Le maire de Munich a dit que la ville devrait obtenir le montant des redevances de brevets de la part de ses fournisseurs, remarquant que ceci porterait gravement préjudice aux petites et moyennes entreprises locales. Celles-ci seraient bien évidemment handicapées lors d’offres de services à des entités plus importantes, qui leur demanderaient des indemnités pour les brevets en vertu de cette législation.

Un ancien Conseiller à la Maison Blanche : « L’Europe a maintenant une opportunité »

Les derniers développements de la procédure législative européenne en matière de brevets logiciels est suivie avec un intérêt croissant aux ÉtatsUnis. Le professeur Brian Kahin, ancien analyste politique au cabinet sur la politique en matière de science et de technologie à la Maison Blanche du temps de l’administration Clinton — actuellement à l’Université du Michigan déclare :

L’Europe a maintenant l’opportunité d’examiner ce très important événement juridique dans sa véritable profondeur, plutôt que comme un combat d’arguments juridiques. Quelque chose est à faire pour réconforter les développeurs de logiciels, les producteurs de connaissances et les utilisateurs de tous les secteurs avec les responsabilités inchiffrables qui s’établissent autour des procédés informatiques. En permettant aux petites et moyennes entreprises une liberté d’action dont seules les compagnies disposant d’importants portefeuilles de brevets jouissent aux ÉtatsUnis, l’Europe peut tirer parti d’une sorte de renouveau et de régénération qui a caractérisé l’économie étatsunienne au moins dans cette sphère où les barrières à l’entrée sont intrinsèquement basses.

Par conséquent, nous vous demandons de donner davantage de temps au Parlement européen et au Conseil pour revoir la question en profondeur.

Traduction de Jacques Cuvillier