Lettre ouverte de la FFII aux eurodéputés concernant les décisions en cours sur la directive des brevets logiciels
Garantir cette semaine que le Parlement pourra choisir.
Cher membre du Parlement européen,
Cette semaine, la Commission des affaires juridiques (JURI) s’entretiendra à propos de la directive relative à la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur (directive sur les brevets logiciels) avec le Commissaire Charlie McCreevy et Bill Gates (Microsoft) et elle devra également prendre la décision de savoir si les eurodéputés auront la possibilité de voter pour un retour en première lecture lorsque la proposition du Conseil sera soumise au Parlement ; 61 Eurodéputés ayant demandé ce droit en déposant une motion fin décembre 2004 (motion prenant appui sur l’article 55-4), bien que jusqu’à présent il semble que le Tabling Office ait toujours rejeté ce droit sans donner de justification.
Nous sommes préoccupés de voir une atteinte aux droits des eurodéputés se produire alors que la Commission et le Conseil sont en train de créer d’attristant précédents de non-respect de la démocratie parlementaire aussi bien au niveau du parlement européen qu’au niveau des parlements nationaux. Dans ce climat, les eurodéputés ont de très bonnes raisons de faire valoir avec insistance leur droit de déposer une motion sous l’article 55-4 et leur droit de voter pour un retour de l’ensemble de la procédure en première lecture. Ainsi que nous le soutiendrons, la directive des brevets logiciels est un de ces cas où l’exercice de ces droits prend tout son sens.
Pourquoi les industriels pro-brevets s’opposent à un nouvel arbitrage ?
Ces jours-ci vous avez reçu des lettres de la part de Nokia, Ericsson, Alcatel, UNICE et d’autres acteurs qui ont construit leur modèle d’affaires autour du système des brevets, lettres vous demandant de prendre une position contre toute motion basée sur l’article 55.
La raison évoquée pour cette demande étant habituellement que vous devez rapidement approuver l’accord du Conseil, parce que le monde industriel ne peut plus attendre. Ils prétendent aussi que cet accord interdira le brevetage du logiciel et des méthodes d’affaires.
Cependant, dans des notes internes, par exemple dans une note adressée par un membre national d’UNICE aux commissions d’avocats des brevets de ses associations membres, les mêmes acteurs donnent une explication tout à fait différente :
Le Conseil a fondamentalement maintenu sa position de Novembre 2002. Il a pris en considération seulement quelques amendements non critiques du Parlement. Nous devons être sûrs que cette position soit adoptée par le Conseil dans les meilleurs délais. Une fois soumise au Parlement en seconde lecture, ce dernier ne pourra vraisemblablement pas revendiquer à nouveau les amendements de septembre 2003 compte tenu de plus grandes exigences pour obtenir une majorité.
La majorité requise repose sur l’article 62 :
Amendements à la position commune du Conseil
4. Les amendements ne sont adoptés que s’ils recueillent les voix de la majorité des membres qui composent le Parlement.
En d’autres termes : tout eurodéputé qui n’est pas présent ou qui s’abstient le jour du vote sera comptabilisé comme pro-Conseil et à moins que 60 à 70 % des eurodéputés présents votent pour chaque amendement essentiel, le Parlement ne sera donc pas en mesure de parvenir à la phase de conciliation avec un tel décompte.
Conseil : majorité non-qualifiée pour un accord périmé.
L’analyse ci-dessus d’un membre de l’organisation UNICE est correcte. Après que les amendements de septembre 2003 furent votés par le Parlement, le Groupe de travail « Propriété intellectuelle » (brevets) du Conseil de la (c’est-à-dire exactement les mêmes personnes qui siègent au Conseil d’administration de l’Office européen des brevets) ignora ces amendements et réaffirma simplement sa position initiale, avec un saupoudrage de quelques amendements mineurs résultant de la lecture par JURI en juin 2003, lesquels amendements provenaient déjà de la même et ancienne position du Conseil, tout en rejetant les positions du Parlement sur des points qui avaient été précedemment ouverts et en rajoutant des couches d’éléments en trompe-l’œil.
Il en résulta la proposition pro-brevets logiciels la plus intransigeante que l’on n’ait jamais connue dans la procédure. Fondamentalement elle consiste à revenir à l’approche de 1997 qu’avait la Commision, c’est-à-dire à une harmonisation avec le brevetage du logiciel et des méthodes d’affaires en usage aux États-Unis, mais sous l’apparat d’une rhétorique fixant des limites, le terme « technique » apparaissant plus souvent et avec moins de substance que jamais auparavant. Grâce aux manipulations orchestrées par le Commissaire Bolkestein, assisté de la délégation allemande et de la présidence irlandaise, cette proposition est passée lors du conseil « compétitivité » du 18 Mai 2004 sans vraiment jouir du soutien d’une majorité qualifiée des états membres.
Les parlements nationaux se réveillèrent tardivement mais passèrent certaines résolutions en y attachant même des décisions contre le Conseil et en faveur du Parlement européen. Les gouvernements des Pays-Bas, d’Allemagne et du Danemark sont sous l’obligation de retirer leur soutien à l’accord politique du Conseil. D’autres gouvernements ont fait des déclarations unilatérales pour montrer leur manque de soutien. Il est peu probable que le Conseil puisse à nouveau obtenir ce type d’accord politique sur cette directive. En conséquence, les milieux industriels pro-brevets logiciels veulent que le Conseil adopte rapidement ce texte sans majorité qualifiée, de sorte qu’ils mettent la pression sur un Parlement rétissant grâce à l’article 62.
Le nouveau Parlement sous un bombardement de propagande.
Pendant ce temps, les milieux industriels pro-brevets logiciels montent une campagne de désinformation d’une ampleur stupéfiante, comparable seulement aux manœuvres de 1998, lorsqu’un des directeurs de la campagne actuelle fit appel à des personnes handicapées en fauteuils roulants pour demander que passe la regrettable directive concernant les brevets sur les gènes. De tels procédés à forte résonnance émotionnelle sont actuellement utilisés à grande échelle par des publicités dans la presse écrite (par exemple, dans l’European Voice). Des soit-disants représentants de PME de secteurs non-informatiques ont été dépêchés auprès du Parlement européen pour vous dire que leur industrie serait dévastée par les limitations sur la brevetabilité que le Parlement avait proposées en septembre 2003. Des représentants de Siemens vous disent que cette directive saperait les efforts en R&D relatifs aux importantes découvertes médicales. Mais ils ne vous montrent certainement pas un seul des brevets qu’ils revendiquent. Si vous pouvez jeter un coup d’œil aux brevets idoines, par exemple ceux de Siemens Medical Solutions, vous observerez que Siemens a ainsi obtenu le monopole sur des méthodes de traitements des données utilisées par les médecins, c’est-à-dire sur des méthodes d’affaires médicales, déguisées en appareils d’équipements médicaux, et de ce fait menaçant davantage de vies qu’ils n’en sauvent. Vous aurez aussi noté que ces réalisations portant sur des traitements de données médicales, comme d’autres innovations logicielles, sont suffisamment protégées par les droits d’auteurs et par le secret de fabrication et que les brevets de Siemens et d’autres sont sans aucun mérite dans ce domaine.
Mais aurez-vous le temps d’aller plus à fond dans ces problèmes ? Aurez-vous le temps d’obliger les milieux industriels pro-brevets logiciels à communiquer ce qu’ils redoutent le plus : un dialogue, où ses revendications sauvages sur la perte d’investissements et d’emplois puissent être soumises à un vote ?
Contrairement à ce que Siemens et ses semblables veulent vous faire croire, les amendements de septembre 2003 représentent un minimum qu’il est nécessaire de conserver pour arrêter l’extension des champs de la brevetabilité dans le domaine des méthodes d’affaires et des règles de calcul. Pendant que le Parlement dresse 5 murs contre la brevetabilité, le Conseil les démoli et construit 5 murs dans la direction opposée, c’est-à-dire des murs pour empêcher toute limitation de la brevetabilité. Si vous ne parvenez pas à réunir 60 à 70% des votes pour à nouveau abattre les 5 murs du Conseil et reconstruire ceux du parlement, nous aboutirons à une directive qui ne convient à personne et il y aura peu espoirs d’obtenir des négociations fructueuses durant la procédure de conciliation.
Même si vous parvenez à réunir 60 à 70% des suffrages pour les amendements cruciaux, vous entrerez dans la phase de conciliation avec un Conseil qui n’a pas encore affronté les problèmes. Vous serez conduits à entamer des négociations confidentielles avec des fonctionnaires nationaux deÑ• brevets, qui sont beaucoup plus rompus aux sophismes du monde des brevets que n’importe quel eurodéputé et qui ne sont même pas sous le contrôle de leurs gouvernements nationaux, et encore moins des parlements.
Les eurodéputés peuvent encore contraindre le Conseil à affronter les problèmes.
Aussi bien le Conseil que les milieux pro-brevets sont immobiles et non réceptifs à l’interêt que témoigne le grand public. Le Conseil des ministres associé aux milieux pro-brevets constituent une combinaison particulièrement dangeureuse et cela exige beaucoup plus de temps qu’à l’accoutumée pour élaborer un discours public qui puisse les impressionner.
Les législateurs du Conseil qui s’occupent de la brevetabilité n’ont pas encore trouvé nécessaire d’affronter les problèmes sous l’angle de discussions ouvertes. Sont-ils vraiment autorisés à procéder sans elles ? Ne sont-ils pas forcés de s’occuper des inquiétudes du Parlement ? Ne sont-ils pas également obligés de garantir un soutien des parlements nationaux s’ils désirent aller à l’encontre du Parlement européen ?
La démocratie parlementaire est actuellement très faible au sein des institutions de l’Union européenne mais il est de notre devoir de faire évoluer cette situation. Dans ce dossier, il suffit qu’un seul pays demande une nouvelle comptabilisation des votes relatifs à l’accord sur les brevets logiciels (point B). Une attention du public suffisamment forte s’est formée pour contraindre le Conseil à renégocier, si seulement la question est soulevée. Les diplomates du Conseil et les autorités gouvernementales vous diront qu’un accord politique ne peut être modifié, mais cela est inexact. En tant qu’eurodéputés, vous disposez de l’influence nécessaire pour faire en sorte que le Conseil interprête son règlement dans un esprit plus démocratique.
Ainsi, il est tout à fait possible que tous les efforts échouent et que le Conseil adopte un jour l’accord sans soutien de Mai 2004 en tant que point A. Dans ce cas, le Parlement doit être préparé à voter un retour en première lecture. Pour ce faire, une décision favorable de la commission JURI serait d’une grande aide. Si cette décision n’est pas prise cette semaine, il sera peut-être trop tard. Une autre possibilité consiste à faire valoir avec insistance les droits des eurodéputés selon l’article 55-4. Dès l’instant où les parlements ne sont pas respectés et les eurodéputés privés de leurs droits, la Cour européenne de justice peut sans doute être saisie pour une question de principe.
La FFII à Bruxelles
La FFII dispose d’un bureau à Bruxelles (au 68, rue Michel Ange) et travaille au titre d’organisation membre de la CEA-PME (une confédération d’associations de PME européennes). La CEA-PME représente des associations de 800 000 PME membres à travers l’Europe entière. La FFII compte 80 000 personnes et 1 200 entreprises qui la soutiennent et est devenue un centre d’expertise législative en matière de logiciels et de droit en propriété industrielle .
Nous sommes en mesure de vous aider à poser des questions embarassantes aux personnes qui font campagne pour le brevetage et à vous aider à renforcer votre information sur les processus législatifs par des représentants élus dans toute l’Europe.
Merci de ne pas hésiter à nous contacter.
Bien cordialement,
Informations supplémentaires à ces adresses :
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