Accueil > brevets-logiciels > Comment fonctionne l’Union européenne ? L’exemple de la directive sur les (…)
Comment fonctionne l’Union européenne ? L’exemple de la directive sur les brevets logiciels
dimanche 22 mai 2005, par ,
Paris, le 22 mai 2005 — À l’heure du débat sur le projet de Constitution pour l’Europe, l’Union européenne revêt une importance particulière pour le citoyen-électeur, la FFII tient à partager l’expérience des institutions européennes qu’elle a acquise au cours de l’élaboration de la directive sur les brevets logiciels. Cet historique des dysfonctionnements constatés est l’occasion d’affirmer une exigence forte de démocratie dans la construction européenne.
Parce que nous défendons la libre circulation des idées et le libre accès aux connaissances, nous sommes depuis quelques années les témoins privilégiés du déroulement législatif sur une directive de l’Union européenne en cours d’élaboration, concernant les brevets logiciels [1].
Michel Rocard, rapporteur pour le Parlement européen sur cette directive, qualifiait d’« inélégances » [2], le fonctionnement biaisé des institutions européennes, qui a notamment perturbé l’élaboration de la loi sur les brevets logiciels. Ceci, alors que les citoyens européens attendent que cette loi ne leur ferme pas — on peut le craindre, pour longtemps — les portes d’une société où l’information et la connaissance deviennent de plus en plus hégémoniques.
Ainsi, avec les eurodéputés, nous avons pu ensemble constater comment la Commission européenne — que les eurodéputés n’ont la possibilité de renverser que pour des motifs de « gestion » - était perméable aux influences des lobbies représentant les firmes dominantes au niveau international : la proposition de directive sur les brevets logiciels, dont la Commission a eu l’unique pouvoir d’initiative, porte la signature de la BSA, la Business Software Alliance, conglomérat des géants de l’informatique, dominé par Microsoft [3].
Ensemble, nous avons dû travailler d’arrache-pied pour que le Parlement européen amende fortement en première lecture le texte liberticide et trompeur de la Commission [4].
Ensemble, nous avons vu comment la Commission et le Conseil des ministres, conseillés par des « experts » siégeant aux Offices des brevets, avaient superbement ignoré tous ces amendements substantiels, sans donner de raison motivée valable [5].
Ensemble, nous avons déploré l’inefficacité du contrôle que sont censés exercer les citoyens et les parlements nationaux sur les décisions que prennent les représentants ministériels au Conseil : le ministre néerlandais votait à l’encontre du mandat reçu de la Tweede Kamer, en excusant sa position par une « erreur de traitement de texte » (sic !) [6] ; l’Allemagne, en qui nombre de pays de l’Est avaient placé leur confiance, s’entendait avec la Commission pour proposer un amendement de dernière minute, retirant toute substantifique mœlle à son opposition revendiquée [7] ; la France, n’arrivant pas à déjuger une position préparée par l’INPI [8], reniait hypocritement les engagements pris par son président, en restant aveugle et sourde aux démonstrations prouvant que le texte auquel elle donnait son accord allait à l’encontre des louables intentions qu’elle affichait [9] ; l’Irlande, paradis fiscal pour la « propriété intellectuelle » et qui assurait alors la présidence de l’Union européenne avec le parrainage de Microsoft, forçait la main pour obtenir leur assentiment à des États membres hésitants, tel que le Danemark [10] ; etc. La liste des forfaitures commises au Conseil est encore longue [11], et ce texte, reniant le point de vue du Parlement européen, n’a cessé [12] d’être poussé pour finalement être adopté officiellement [13], après que la mobilisation des citoyens et de plusieurs États [14] avait dénoncé les tentatives de le glisser discrètement lors de réunions du Conseil sur l’Agriculture et la Pêche [15].
Ensemble, nous avons essayé de sortir cette importante directive du bourbier diplomatico-politicien dans lequel elle s’enfonçait, en demandant officiellement à la Commission européenne de présenter un nouveau texte, à la lumière des dangers causés par les brevets logiciels qui commençaient à émerger dans l’espace public depuis sa proposition initiale [16]. Alors que cette demande était soutenue par une écrasante majorité de la commission parlementaire responsable [17], par la Conférence des Présidents des Groupes politiques représentés au Parlement européen [18] et par un vote unanime de ce Parlement en séance plénière [19], nous attendons toujours que la Commission donne une explication valable de son refus à cette requête de redémarrage. Mais le couple Commission et Conseil n’a pu, pour justifier son entêtement, qu’invoquer des « raisons institutionnelles pour ne pas créer de précédents dans les institutions européennes » [20].
Comment peut-on interpréter cela autrement que comme la volonté de ne pas remettre en cause leur omnipotence sur ces institutions ? Comment peut-on croire qu’une invitation d’un million de citoyens, telle que le prévoit l’actuel projet de Constitution pour l’Europe, à des conditions plus strictes et plus floues que le droit de pétition dont ils bénéficiaient d’ores et déjà, connaîtra un meilleur traitement ? Comment peut-on imaginer qu’une extension de la procédure de codécision, qui régit déjà cette législation sur les brevets logiciels, représente une avancée démocratique ?
Nous travaillons en ce moment pour que le Parlement réaffirme en seconde lecture son souci de l’intérêt commun [21], en dépit des lobbies du microcosme juridique et des groupes industriels [22] voulant conforter leur position dominante. Alors qu’au cours de plus d’une année, Conseil et Commission n’ont réussi qu’à accoucher de définitions tautologiques et trompeuses, satisfaisant ces intérêts particuliers, nous réalisons avec le Parlement européen le véritable travail législatif, conjuguant la défense du patrimoine commun des européens et celle de la majorité économique, qui dans le secteur informatique européen est constituée des multiples PME du logiciel [23]. Mais même en y parvenant lors de cette seconde lecture parlementaire, buterons-nous toujours sur ce que certains qualifient d’« Union bananière » ?
Parce que nous avons confiance dans le pouvoir que nous avons délégué aux eurodéputés pour nous représenter politiquement ; parce que nous avons besoin de garanties que ce pouvoir de représentation puisse dominer sereinement les décisions prises par l’Union européenne ; parce qu’au contraire, nous ne pouvons accepter que soit brouillé le nécessaire équilibre des pouvoirs ; parce qu’il est nécessaire de proposer des moyens de s’assurer que les instances les plus puissantes — Commission, Conseil, Banque centrale européenne — puissent être contrôlées par les Européens et que ces instances plénipotentiaires ne bénéficient plus d’une liberté d’action, aucunement légitimée par un soutien électoral citoyen ; parce que les droits fondamentaux conquis par nos aïeux doivent être confiés en héritage à nos enfants ; et parce qu’enfin nous nous sentons profondément européens, nous avons aujourd’hui besoin d’une construction européenne démocratique qui rénove en profondeur les institutions pour nous offrir des garanties contre les dysfonctionnements que nous avons constatés dans le fonctionnement de ces institutions.
[1] Conference-de-presse-apres-le-rejet-par-le-Parlement-europeen-de-la-directive-sur-les-brevets-logiciels
[12] Dix mythes concernant la directive sur les brevets logiciels telle que proposée par la Commission