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Position (peu) commune du Conseil

dimanche 15 mai 2005, par Rene Paul Mages (ramix), Gérald Sedrati-Dinet (gibus)

Le 7 mars 2005, le Conseil a finalement adopté, dans des conditions discutables, ce que l’on appelle sa « position commune ». Celle-ci reposant sur l’accord politique, conclu le 18 mai 2004 et ne bénéficiant plus objectivement d’une majorité qualifiée déjà bien fragile, il est difficle de qualifier ce texte autrement que comme une position peu commune.

DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur

Considérant 1

La réalisation du marché intérieur implique que l’on élimine les restrictions à la libre circulation et les distorsions de concurrence, tout en créant un environnement favorable à l’innovation et à l’investissement. Dans ce contexte, la protection des inventions par des brevets est un élément essentiel du succès du marché intérieur. Une protection effective, transparente et harmonisée des inventions mises en œuvre par ordinateur dans tous les États membres est essentielle pour maintenir et encourager les investissements dans ce domaine.

Considérant 2

Des différences existent dans la protection des inventions mises en œuvre par ordinateur offerte par les pratiques administratives et la jurisprudence des différents États membres. Ces différences pourraient créer des entraves aux échanges et faire ainsi obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur.

Considérant 3

De telles différences pourraient prendre de l’ampleur du fait que les États membres adoptent de nouvelles pratiques administratives qui diffèrent les unes des autres ou du fait que les jurisprudences nationales interprétant la législation actuelle évoluent différemment.

Considérant 4

L’augmentation constante de la diffusion et de l’utilisation de programmes d’ordinateur dans tous les domaines de la technologie et de leur diffusion mondiale via l’Internet sont un facteur critique de l’innovation technologique. Il est dès lors nécessaire de garantir l’existence d’un environnement optimal pour les développeurs et les utilisateurs de programmes d’ordinateur dans la Communauté.

Considérant 5

En conséquence, les règles de droit régissant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur devraient être harmonisées de manière à ce que la sécurité juridique qui en résultera et le niveau des critères de brevetabilité permettent aux entreprises innovatrices de tirer le meilleur parti de leur processus inventif et stimulent l’investissement et l’innovation. La sécurité juridique est également assurée par le fait que, en cas de doute quant à l’interprétation de la présente directive, les juridictions nationales ont la possibilité, et les juridictions nationales statuant en dernier ressort l’obligation, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Considérant 6

La Communauté et ses États membres sont liés par l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil du 22 décembre 1994 relative à la conclusion, au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) [JO L 336 du 23.12.1994, p. 1.]. L’article 27, paragraphe 1, de l’accord sur les ADPIC dispose qu’un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle. En outre, en vertu dudit article, des droits de brevet devraient pouvoir être obtenus et il devrait être possible de jouir de ces droits de brevet sans discrimination quant au domaine technologique. Ces principes devraient en conséquence s’appliquer aux inventions mises en œuvre par ordinateur.

Considérant 7

En vertu de la Convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 (« Convention sur le brevet européen »), et du droit des États membres en matière de brevets, les programmes d’ordinateur ainsi que les découvertes, théories scientifiques, méthodes mathématiques, créations esthétiques, plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques et les présentations d’informations, ne sont expressément pas considérés comme des inventions et sont donc exclus de la brevetabilité. Cependant, cette exception ne s’applique et n’est justifiée que dans la mesure où la demande de brevet ou le brevet concerne les objets ou activités mentionnés ci-dessus en tant que tels parce que lesdits objets et activités en tant que tels n’appartiennent à aucun domaine technologique.

Considérant 8

La présente directive vise à éviter des divergences d’interprétation des dispositions de la Convention sur le brevet européen relativement aux limites de la brevetabilité. La sécurité juridique qui en découle devrait contribuer à créer un climat propice aux investissements et à l’innovation dans le domaine des logiciels.

Considérant 9

La protection par brevet permet aux innovateurs de tirer profit de leur créativité. Les droits de brevet protègent l’innovation dans l’intérêt de la société dans son ensemble et ne devraient pas être utilisés d’une manière anticoncurrentielle.

Considérant 10

Conformément à la directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateurs [JO L 122 du 17.5.1991, p. 42. Directive modifiée par la directive 93/98/CEE (JO L 290 du 24.11.1993, p. 9).], toute expression d’un programme d’ordinateur original est protégée par un droit d’auteur en tant qu’œuvre littéraire. Toutefois, les idées et principes qui sont à la base de quelque élément que ce soit d’un programme d’ordinateur ne sont pas protégés par le droit d’auteur.

Considérant 11

Pour être considérée comme brevetable, une invention doit présenter un caractère technique et donc appartenir à un domaine technologique.

Considérant 12

D’une manière générale, pour répondre au critère de l’activité inventive, les inventions doivent apporter une contribution technique à l’état de la technique.

Considérant 13

En conséquence, bien que les inventions mises en œuvre par ordinateur appartiennent à un domaine technologique, lorsqu’une invention n’apporte pas de contribution technique à l’état de la technique, parce que, par exemple, la contribution en question ne revêt pas un caractère technique, elle ne répond pas au critère de l’activité inventive et n’est donc pas brevetable.

Considérant 14

La simple mise en œuvre d’une méthode par ailleurs non brevetable sur un appareil tel qu’un ordinateur n’est pas en elle-même suffisante pour considérer qu’il y a contribution technique. En conséquence, une méthode mise en œuvre par ordinateur pour l’exercice d’une activité économique, une méthode de traitement des données, ou une autre méthode, dans laquelle la seule contribution à l’état de la technique n’est pas technique, ne peut pas constituer une invention brevetable.

Considérant 15

Si la contribution à l’état de la technique porte uniquement sur un objet non brevetable, il ne peut y avoir invention brevetable, indépendamment de la façon dont l’objet est présenté dans les revendications. Ainsi, l’exigence d’une contribution technique ne peut être contournée simplement en spécifiant des moyens techniques dans les revendications du brevet.

Considérant 16

En outre, un algorithme est intrinsèquement non technique et ne peut donc constituer une invention technique. Une méthode impliquant l’utilisation d’un algorithme peut néanmoins être brevetable, à condition qu’elle soit utilisée pour résoudre un problème technique. Toutefois, tout brevet accordé pour cette méthode ne pourrait monopoliser l’algorithme luimême ou son utilisation dans des contextes non prévus par le brevet.

Considérant 17

La portée des droits exclusifs conférés par tout brevet est définie par les revendications, telles qu’interprétées compte tenu de la description et d’éventuels dessins. Il conviendrait que les inventions mises en œuvre par ordinateur soient revendiquées au moins en faisant référence à un produit, tel qu’un appareil programmé, ou à un procédé réalisé sur un tel appareil. En conséquence, lorsque des éléments individuels de logiciel sont utilisés dans des contextes qui n’impliquent pas la réalisation d’un produit ou d’un procédé faisant l’objet d’une revendication valable, cette utilisation ne constitue pas une violation de brevet.

Considérant 18

La protection juridique des inventions mises en œuvre par ordinateur ne nécessite pas l’établissement d’un corps de règles juridiques distinct en lieu et place des dispositions de droit national en matière de brevets. Les règles de droit national en matière de brevets continuent de former la base essentielle de la protection juridique des inventions mises en œuvre par ordinateur. La présente directive clarifie simplement la situation juridique actuelle, en vue d’assurer la sécurité juridique, la transparence et la clarté du droit et d’éviter toute dérive vers la brevetabilité de méthodes non brevetables, telles que des procédures évidentes ou non techniques et des méthodes destinées à l’exercice d’activités économiques.

Considérant 19

La présente directive devrait se borner à établir certains principes s’appliquant à la brevetabilité de ce type d’inventions, ces principes ayant en particulier pour but de garantir que les inventions appartenant à un domaine technologique et apportant une contribution technique puissent faire l’objet d’une protection et inversement de garantir que les inventions qui n’apportent pas de contribution technique ne puissent bénéficier d’une protection.

Considérant 20

La position concurrentielle de l’industrie communautaire vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux sera améliorée si les différences actuelles dans la protection juridique des inventions mises en œuvre par ordinateur sont éliminées et si la situation juridique est transparente. Étant donné la tendance actuelle, qui voit l’industrie manufacturière traditionnelle déplacer son activité vers des économies à l’extérieur de la Communauté, où les coûts sont faibles, l’importance de la protection de la propriété intellectuelle, et en particulier de la protection assurée par le brevet, est évidente.

Considérant 21

La présente directive est sans préjudice de l’application des articles 81 et 82 du traité, en particulier lorsqu’un fournisseur occupant une position dominante refuse d’autoriser l’utilisation d’une technique brevetée nécessaire à la seule fin d’assurer la conversion des conventions utilisées dans deux systèmes ou réseaux informatiques différents de façon à permettre la communication et l’échange de données entre eux.

Considérant 22

Les droits conférés par les brevets d’invention délivrés dans le cadre de la présente directive ne devraient pas porter atteinte aux actes permis en vertu des articles 5 et 6 de la directive 91/250/CEE, notamment en vertu des dispositions relatives à la décompilation et à l’interopérabilité. En particulier, les actes qui, en vertu des articles 5 et 6 de ladite directive, ne nécessitent pas l’autorisation du titulaire du droit, au regard des droits d’auteur de ce titulaire afférents ou attachés à un programme d’ordinateur, et qui, en l’absence desdits articles, nécessiteraient cette autorisation, ne devraient pas nécessiter l’autorisation du titulaire du droit, au regard des droits de brevet de ce titulaire afférents ou attachés au programme d’ordinateur.

Considérant 23

Dans la mesure où l’objectif de la présente directive, à savoir harmoniser les règles nationales relatives à la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres et peut donc être mieux réalisé au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. Conformément au principe de proportionnalité, tel qu’énoncé audit article, la présente directive n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif,

Article 1 - Champ d’application

La présente directive établit des règles concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur.

Article 2 - Définitions

Aux fins de la présente directive, les définitions suivantes s’appliquent :

a) « invention mise en œuvre par ordinateur » désigne toute invention dont l’exécution implique l’utilisation d’un ordinateur, d’un réseau informatique ou d’un autre appareil programmable, l’invention présentant une ou plusieurs caractéristiques qui sont réalisées totalement ou en partie par un ou plusieurs programmes d’ordinateur ;

b) « contribution technique » désigne une contribution à l’état de la technique dans un domaine technique, qui est nouvelle et non évidente pour une personne du métier. La contribution technique est évaluée en prenant en considération la différence entre l’état de la technique et l’objet de la revendication de brevet considéré dans son ensemble, qui doit comprendre des caractéristiques techniques, qu’elles soient ou non accompagnées de caractéristiques non techniques.

Article 3 - Conditions de brevetabilité

Pour être brevetable, une invention mise en œuvre par ordinateur doit être susceptible d’application industrielle, être nouvelle et doit impliquer une activité inventive. Pour impliquer une activité inventive, une invention mise en œuvre par ordinateur doit apporter une contribution technique.

Article 4 - Exclusions de brevetabilité

1. Un programme d’ordinateur en tant que tel ne peut constituer une invention brevetable.

2. Une invention mise en œuvre par ordinateur n’est pas considérée comme apportant une contribution technique simplement parce qu’elle implique l’utilisation d’un ordinateur, d’un réseau ou d’un autre appareil programmable. En conséquence, ne sont pas brevetables les inventions consistant en des programmes d’ordinateur, qu’ils soient exprimés en code source, en code objet ou sous toute autre forme, qui mettent en œuvre des méthodes pour l’exercice d’activités économiques, des méthodes mathématiques ou d’autres méthodes et ne produisent pas d’effets techniques au-delà des interactions physiques normales entre un programme et l’ordinateur, le réseau ou un autre appareil programmable sur lequel celui-ci est exécuté.

Article 5 - Forme des revendications

1. Les États membres veillent à ce qu’une invention mise en œuvre par ordinateur puisse être revendiquée en tant que produit, c’est-à-dire en tant qu’ordinateur programmé, réseau informatique programmé ou autre appareil programmé ou en tant que procédé réalisé par un tel ordinateur, réseau informatique ou autre appareil à travers l’exécution d’un logiciel.

2. Une revendication pour un programme d’ordinateur, seul ou sur support, n’est autorisée que si ce programme, lorsqu’il est chargé et exécuté sur un ordinateur programmable, un réseau informatique programmable ou un autre appareil programmable, mette en œuvre un produit ou un procédé revendiqué dans la même demande de brevet, conformément au paragraphe 1.

Article 6 - Relation avec la directive 91/250/CEE

Les droits conférés par un brevet délivré pour une invention relevant du champ d’application de la présente directive n’affectent pas les actes autorisés en vertu des articles 5 et 6 de la directive 91/250/CEE, et notamment de ses dispositions relatives à la décompilation et à l’interopérabilité.

Article 7 - Suivi

La Commission surveille l’incidence des inventions mises en œuvre par ordinateur sur l’innovation et la concurrence en Europe et dans le monde entier, ainsi que sur les entreprises communautaires, en particulier les petites et moyennes entreprises, sur la communauté des logiciels libres, de même que sur le commerce électronique.

Article 8 - Rapport sur les effets de la directive

La Commission présente au Parlement européen et au Conseil, pour le ......[Cinq ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive.] au plus tard, un rapport indiquant :

a) l’incidence des brevets délivrés pour des inventions mises en œuvre par ordinateur sur les éléments mentionnés à l’article 7 ;

b) si les règles régissant la durée de validité d’un brevet et la détermination des critères de brevetabilité, en ce qui concerne plus précisément la nouveauté, l’activité inventive et la portée des revendications, sont adéquates, et s’il serait souhaitable et juridiquement possible, compte tenu des obligations internationales de la Communauté, d’apporter des modifications à ces règles ;

c) si des difficultés sont apparues dans les États membres où les critères de nouveauté et d’activité inventive ne sont pas examinés avant la délivrance d’un brevet et, dans l’affirmative, si des mesures sont souhaitables pour y remédier ;

d) si des difficultés sont apparues dans la relation entre la protection par brevet des inventions mises en œuvre par ordinateur et la protection des programmes d’ordinateur par le droit d’auteur prévue par la directive 91/250/CEE, et si des abus du système de brevet se sont produits en rapport avec les inventions mises en œuvre par ordinateur ;

e) la façon dont les exigences de la présente directive ont été prises en compte dans la pratique de l’Office européen des brevets et dans ses directives relatives à l’examen ;

f) les aspects pour lesquels il pourrait être nécessaire de préparer une conférence diplomatique afin de réviser la Convention sur le brevet européen ;

g) l’incidence des brevets délivrés pour des inventions mises en œuvre par ordinateur sur le développement et la commercialisation de programmes et de systèmes informatiques interopérables.

Article 9 - Évaluation de l’incidence [Note FFII : curieusement, le français est la seule langue où ce titre n’apparaît pas explicitement dans le document PDF du Conseil, nous avons dû le déduire en nous basant sur les autres langues]

La Commission évalue l’incidence de la présente directive à la lumière du suivi réalisé conformément à l’article 7 et du rapport à rédiger conformément à l’article 8 et présente, si nécessaire, au Parlement européen et au Conseil des propositions de modification.

Article 10 - Mise en œuvre

1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive avant le ......[Deux ans à partir de la date d’entrée en vigueur de la présente directive.]. Ils en informent immédiatement la Commission.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2. Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.

Article 11 - Entrée en vigueur

La présente directive entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

Article 12 - Destinataires

Les États membres sont destinataires de la présente directive.