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Dix mythes concernant la directive sur les brevets logiciels telle que proposée par la Commission

lundi 9 mai 2005, par Gérald Sédrati-Dinet (gibus)

Remarque de l’éditeur : Cette démystification s’applique également à la position peu commune adoptée par le Conseil le 7 mars 2005, puisque cette dernière ne résoud aucun des points ci-dessous.

  • 1. « La directive ne concerne pas les logiciels ordinaires mais seulement les téléphones mobiles, les machines à laver contrôlées par ordinateur, etc. »

La vérité est que l’exigence d’une « contribution technique » est aussi légère qu’une plume, particulièrement parce qu’on choisit explicitement de ne pas définir ce que « technique » signifie ici. L’exposé des motifs joint à la proposition se contredit également lui-même, en parlant de la taille et des intérêts de l’industrie européenne du logiciel . Ainsi, il s’agit bien au final de logiciels en général, et pas seulement de téléphones mobiles !

  • 2. « La directive améliore le potentiel compétitif de l’Europe. »

En réalité, les brevets logiciels européens, déjà à l’heure actuelle, sont principalement demandés par des entreprises américaines. Le droit des brevets est régi, selon les traités internationaux, par le « principe d’assimilation », qui force les gouvernements à offrir les mêmes possibilités de protection aux étrangers qu’à ses propres citoyens. Du reste, selon le même principe, les entreprises européennes peuvent d’ores et déjà obtenir également des brevets aux USA. Ainsi, il n’est pas surprenant que les américains se soient fortement opposés aux amendements du Parlement européen.

  • 3. « La directive empêche les brevets sur des méthodes d’affaires. »

Non. Même si la proposition de la Commission empêchait les brevets sur des méthodes d’affaires informatisées — ce qui n’est pas le cas —, la portée de la directive se confine aux ordinateurs et équivalents. Ceci laisserait une large place pour breveter des méthodes d’affaires abstraites, les pires de toutes.

  • 4. « Les brevets logiciels sont nécessaires parce que les droits d’auteurs seuls ne protègent pas les idées. »

Le droit des brevets n’est pas là non plus pour protéger les idées, sauf si elles ont les caractéristiques d’une invention. En pratique, il s’avère que l’on abuse précisément des brevets logiciels pour protéger de pures idées. De cette façon, on obtient une protection très large pour un effort relativement limité. Ceci est très attirant d’un point de vue mercantile, mais désastreux pour la société.

  • 5. « Les brevets sont bons pour les PME. »

Ce mythe persistant est entretenu par de rares réussites qui sont en fait des exceptions à la règle voulant que les brevets déservent les intérêts des grosses entreprises. Elles sont ainsi les plus fervents lobbies en faveur de la directive — dans sa forme originelle.

  • 6. La directive codifie la jurisprudence actuelle. »

En réalité, les tribunaux recherchent toujours un critère approprié pour séparer le bon grain de l’ivraie. Si quelque chose est condifié, alors ce sera au mieux un instantané — de la jurisprudence passée.

  • 7. « Les consultations plaident en faveur des brevets logiciels. »

Au contraire, de nombreuses consultation dans plusieurs pays ont systématiquement montré qu’il n’existait pas de consensus. La Commission pense que l’opinion de — quelques — grosses sociétés est plus importante que celle de — nombreuses — petites entreprises et aboutit à une conclusion prévisible mais injustifiée au plus haut point. L’alliance Eurolinux devrait être prise très sérieusement, pour de nombreuses raisons.

  • 8. « L’article sur l’interopérabilité ne nécessite aucun amendement. »

Sans amendements, il y a de grandes chances que les brevets seront employés pour contrarier les connexions entre les logiciels de différentes entreprises. Des standards ouverts et des réseaux ouverts sont essentiels pour les technologies de l’information et de la communication (TIC) — à commencer par Internet. Des standards fermés peuvent rapidement conduire à de larges monopoles, en raison de ce que l’on appelle les effets de réseau. Le droit sur la concurrence n’offre pas ici de solution structurelle : c’est comme si l’on évaluait la protection contre les incendies en regardant la qualité des brigades de sapeurs-pompiers.

  • 9. « La politique des brevets équivaut à la politique de l’innovation. »

Les gouvernements, tout comme les entreprises, aiment mesurer la qualité de leur innovation par le nombre de brevets accordés. En outre, les brevets sont peu coûteux pour un gouvernement, peut-être même sont-ils profitables.

Il faut cependant noter qu’il existe de sérieux doutes, particulièrement aux USA, concernant le fonctionnement approprié du système de brevets. Jusqu’ici, le système de brevets a dégénéré en paradis pour avocats qui ne remplit plus que de manière insuffisante son objectif initial d’incitation à l’innovation. Pour cette raison, la Commission fédérale du commerce des États-Unis (Federal Trade Commission) a conduit un grand nombre d’auditions en 2002 et le Conseil de la recherche nationale (National Academy of Sciences) a mené récemment une étude approfondie.

  • 10. « L’imitation doit être évitée à tout prix. »

Il s’agit d’un paradoxe bien connu des étudiants novices en droit et en économie. En réalité, la concurrence et l’innovation bénéficient d’un niveau significatif d’imitation. De ce fait, les gouvernements devraient fournir un équilibre entre les moyens juridiques de protection pour les réalisations créative et éviter une protection excessive par des brevets.

Conclusion

La proposition de directive est une pagaille juridique de la part de la Commission. Peu de doutes que la Commission est « utilisée » par Microsoft et de grosses entreprises semblables. À court terme, une politique restrictive — comme celle présentée par le Parlement européen — est appropriée. À long terme, une large modernisation structurelle est recommandée, car de nombreux problèmes concernant les brevets logiciels s’appliquent également aux brevets dans d’autres domaines.

R.B. Bakels, scientifique en informatique, juriste, chercheur en droit, co-auteur (avec le prof. Hugenholtz) de l’étude demandée par la commission juridique du Parlement européen sur les brevets logiciels : « JURI 107 ».


Voir en ligne : Article original de Reiner Bakel